Drames-Mystères

Porté vers ces cimes de l’esprit,

Se sentant vivre dans les puissances créatrices,

Il peignit des tableaux qui agissaient comme s’ils vivaient.

Ce qui eût porté tout autre artiste que lui

A s’en tenir sagement à un tel résultat

Et à le consolider fermement,

Ne l’incita qu’à mettre le talent acquis

Au service de ce qui pourrait le mieux

Secourir les hommes.

Il vit clairement qu’une science de l’esprit

Ne pourrait être alors bien fondée

Que si la discipline scientifique et la pensée exacte

Etaient libérées par l’artiste de leur raideur dogmatique,

Car elles auraient ainsi la force intérieure de s’élever

A un sens de l’existence en communion avec l’univers 27 .

 

A l’aube du 17 e siècle, l’astronome JohannesKepler (1571-1630) était encore convaincu que la physique céleste et la physique terrestre ne sont pas deux physiques, mais une seule; soutenu par sa foi, il croyait en une architecture divine, unique, régissant à la fois la Terre et les planètes, unies dans la mobilité.

 

Le Drame-Mystère est donc un vecteur essentiel de l’approche artistique nouvelle que Steiner appela de ses vœux, et qui consiste à“spiritualiser l’art” en le reliant de manière consciente au “monde spirituel”,et non, comme dans l’Antiquité, de manière inconsciente, sur la base d’une clairvoyance naturelle .

 

Chacun peut se reconnaître dans l’un ou l’autre des personnages, et dans son mode de connaissance personnel. Enfin, Steiner utilise un langage chargé de symboles que seul le spectateur en recherche peut décrypter au fur et à mesure de son initiation. Lessceaux que Steiner a lui-même dessinés pour chaque Drame-Mystère évoquent le langage chiffré des initiés, caractéristique de la “disciplina arcani” en usage chez les alchimistes. Comme le note Roland Edighoffer, ce langage chiffré, également utilisé par les Rose-Croix, ne saurait être compris commeun artifice inutile ou un goût pour la cachotterie: il ‘signale en réalité les mystères de la vie et de la nature, qui échappent à l’interprétation rationnelleainsi qu’à toute formulation littérale, de sorte que seuls les hiéroglyphes etles symboles, grâce à leur ambivalence essentielle, sont capables d’en man-ifester la polysémie’ .

 

Comme tant d’autres, tu appelles (…) en matière d’art, réel et original, ce quid’après moi renie précisément l’esprit. Nos idées, elles, associent une liberté pleinement consciente avec les forces spontanées de la vie. (…) Tu ne veux  pas voir que l’idée plonge dans l’esprit vivant, remonte jusqu’à la source de l’existence. C’est elle le plan créateur qui se déroule dans les êtres. Pas plus que la graine n’ enseigne à la plante comment elle doit pousser—mais fait en elle apparaître la vie—nos idées n’ enseignent  : elles nous pénètrent, éveillent la vie, dispensent la vie dans notre être.

 

Steiner distingue trois domaines: ‘Le domaine du sensible non idéel est la réalité, le domaine de l’idéel non sensible est la science, celui du sensible idéel est l’art’

rejeter l’idée courante de l’esthétique allemande, selon laquelle le beau serait l’Idée, le divin, apparaissant sous une forme sensible.

Pour Steiner, c’est exactement le contraire: le beau est une forme sensible qui se manifeste sous la forme d’une Idée, ‘dans le vêtement du divin’ ; le beau apparaît comme s’il était l’Idée, celle-ci n’existant pas encore, devant être créée. Le véritable artiste est donc alchimiste: il continue l’œuvre de la création, de la nature; en ceci, il a une mission cosmique.

En résumé: L’art ne peut avoir pour mission de représenter l’idée elle-même. Car ceci est la mission de la  science . Si les idées fondamentales de l’esthétique allemande étaient justes, alors il n’y aurait, au niveau de leur contenu, aucune différence entre la science et l’art. Ce dernier n’aurait qu’à représenter sous une forme sensible ce que la première exprime par la parole (l’idée). Cette simple réflexion prouve que l’art doit avoir une tout autre mission.

Et celle-ci est justement la mission inverse de celle de la science. Tandis que celle-ci a à représenter le divin dans la forme de la  pensée immédiate , telle qu’elle plane sur le sensible,dans une forme purement idéelle, l’art doit  faire monter  le sensible, l’expressif,le figuratif, dans la sphère du divin. (…) C’est justement parce que l’on n’est pas satisfait du réel dans sa forme originellement propre que naît la nostalgie de le rendre divin. Pourquoi devrait-on vouloir donner une autre forme au divin,qui accorde en lui-même la satisfaction suprême?

 

‘L’art est un médiateur de l’indicible; vouloir le communiquer à son tour par des mots est donc insensé

Je pense que l’on pourrait appeler la science la connaissance du général, le savoir déduit; l’art, en revanche, serait la science appliquée à l’action; la science serait la raison et l’art son mécanisme, raison pour laquelle on devrait l’appeler aussi science pratique. Et ainsi, la science serait enfin le théorème, et l’art le problème.

‘La lumière de la vision spirituelle doit briller dans l’art, afin que la chaleur et la grandeur de l’art féconde de manière créative la grandeur et l’horizon de la vision spirituelle’

 

 

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